L’objet
Parallèlement aux fouilles du site du « déjeuner sous l’herbe » qui se sont déroulées à Jouy-en-Josas, en juin 2010, est poursuivie une enquête ethnographique reposant notamment sur des entretiens semi-directifs avec les participants du banquet.
L’objectif est de proposer une description adéquate de l’événement de manière à mettre en lumière les rapports sociaux qui s’y jouent. Cette description passe par la reconstitution de la dramaturgie de l’événement, entendu comme un système de liens tendus entre des personnes ayant des statuts différents, en raison de leur sexe, âge, métiers, position hiérarchique et proximité du « pouvoir » ou de ce qui est désigné comme tel. Cette hétérogénéité contribue à créer la dynamique de cette situation sociale qui – malgré sa forme subversive artistiquement justifiée – n’en constitue pas moins un rituel de classe plutôt conservateur tendant a priori à restreindre le cercle des « décideurs ». Les informations recueillies au cours de l’enquête permettront la reconstitution de l’événement dont la forme oscille entre rite funéraire (enterrement) et rite gastronomique (banquet). Au-delà de l’action-spectacle considérée, il s’agit de rendre compte d’un fait social qui prend racine dans une situation historique spécifique à laquelle la récente élection de François Mitterrand et les tendances socio-économiques ne sont pas étrangères.
L’objectif est de comprendre ce qui se passe, c’est-à-dire de saisir les enjeux de ce détournement d’un rituel funèbre dont la description anthropologique semble a priori compromise du fait qu’elle soit déplacée dans le temps et donc inaccessible à une expérience partagée. Le volet scientifique de ce projet est donc né d’un questionnement anthropologique d’ordre épistémologique, en lien avec le problème de l’allochronie , et plus largement avec la question du temps que soulève une telle enquête.
Le projet qui consiste à essayer de décrire ce qui se passe ou ce qui s’est passé implique une réduction de l’opacité initiale (ou encore de l’incongruité ou de l’absurdité initiale), ce qui était étrange devant devenir familier. Pour comprendre, il nous faut appliquer une méthode qui permet de décrire un jeu social. Pour cela il est nécessaire que le chercheur ethno- archéologue s’immisce dans le monde des gens qui réalisent le moment/la situation à décrire. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre une méthode qui place l’enquêteur dans la même temporalité que ceux dont il ambitionne de décrire les pratiques. C’est précisément la complexité du jeu social, du fait de la multiplicité de ses ressorts et de la variété des formes dans lesquelles se déroule ce jeu, qui constitue l’objet de la recherche. Cette complexité est empirique et son élucidation nécessite une démarche pragmatique. Or, comme le souligne Jean Bazin : « il n’y a pas derrière les événements [en l’occurrence une performance artistique] une « structure » dont j’aurais à établir la permanence sous-jacente, ni un sens caché que j’aurais à déchiffrer, comme si les acteurs suivaient un texte secret, une partition illisible. Que des actions humaines soient conformes à des règles signifie seulement qu’elles ont une certaine capacité à se répéter, à être « les mêmes » (savoir comment on fait, c’est être capable de répéter l’acte) ; mais cette conformité n’est pas moindre lorsque ces règles changent, y compris lorsque (dans une situation instable) elles changent tout le temps. Il faudrait imaginer un jeu qui soit tel que sa règle serait modifiée à chaque fois qu’un coup nouveau serait accepté par les partenaires » . Que faut-il donc savoir du « Déjeuner sous l’herbe » pour le comprendre et pour être en mesure de le répéter ? Quelles en sont les règles ? Et en quoi les trouvailles sur le chantier de fouilles permettront-elles de contribuer à cette reconstitution à laquelle procèdent souvent les sciences humaines ?
B.M.